Régner chez soi ou tourner à l’étranger :
le choix forcé du Rappeur d‘Afrique francophone
Commençons
par des définitions : le chez soi dont il est question est l’espace
francophone africain.
L’étranger
représente le reste du monde, l’Occident principalement.
Le
sujet de la chronique peut sembler absurde puisqu’en principe lorsqu’un artiste
atteint le sommet sur son territoire, naturellement des opportunités d’accéder
au marché international s’offrent à lui, et il est le mieux placé pour prétendre
à une belle carrière internationale. Mais les choses ne sont plus aussi
évidentes dans les musiques africaines, encore moins dans le rap d’Afrique
francophone.
Pendant
l’Age d’or du rap d’Afrique francophone, la question ne se posait pas : les
PBS, Daara J remplissaient les stades, faisaient chavirer les cœurs des
groupies, signaient des partenariats avec de gros sponsors, bénéficiaient du
soutien des institutions.
Leaders
indiscutables sur le continent, affiliés à des majors ; ils embarquaient
pour des tournées interminables dans le
reste du monde sur des festivals et des scènes ouvertes aux musiques du monde
Sans
doute avaient ils trouvé le juste équilibre artistique pour jouer et rafler la
mise sur les deux tableaux.
Et
puis le vent a tourné, les majors n’ont plus su quoi faire avec le rap
d’Afrique francophone et parallèlement les rappeurs des générations suivantes
ont semble t’il perdu la formule musicale qui permettaient aux glorieux aînés
de faire la jonction entre les deux marchés.
Il
faut dire que la crise a provoqué un nivellement par le bas.
Voir
Daara J ou Positive Black Soul en concert était une telle claque qu’elle
forçait les autres artistes à redoubler d’efforts.
Aujourd’hui
un rappeur peut devenir très populaire, être un boss en Afrique francophone et
signer de juteux contrats d’endorsement ; en ayant des prestations
scéniques très approximatives. Le play
back ne choque plus le grand public, alors pourquoi se compliquer la tache à
vouloir faire du live ? D’autant plus que celui ci est difficile à mettre
en œuvre : manque d’espaces de répétition, coût des répétitions, cachets pas assez importants pour rémunérer
des musiciens.
Résultat :
sans une conscience claire des bénéfices du live et la détermination à faire
les sacrifices nécessaires ; il passe vite à la trappe.
En
outre, il n’y a pas assez de prime accordée à la recherche musicale, à
l’originalité. Les rappeurs qui sont dans ce créneau, jouissent du respect de
leurs pairs mais peinent à toucher le grand public. A court terme surfer sur
les tendances du moment en s’appuyant sur une bonne promo fait encore
l’affaire.
Pourquoi
se casser la tête ? Un gros beat trap nappé de vocoder et le tour est
joué !
Or
sur le marché international la réalité est toute autre.
Primo
concert de rap rime avec live. Jay Z la superstar l’a compris depuis des
années. En France presque tous, de Lino à Black M renforcent leurs shows avec
des musiciens.
Secundo
l’Occident recherche des rappeurs africains qui incorporent leurs cultures dans
leur musique, qui ont une démarche originale.
Cela
peut d’ailleurs tourner à la caricature car dans certains réseaux le rappeur
africain est celui qui porte un boubou et qui a des instruments traditionnels
dans son back line. Eh oui au 3ème millénaire des programmateurs,
heureusement en voie de disparition, ont encore du mal à admettre que le jean
et le musiques électroniques font partie intégrante des cultures
africaines !
Cela
décourage ceux qui craignent d’être obligé de se déguiser pour faire carrière.
Il
faut saluer ici le travail que fait le programme Equation Musique pour
positionner le rap africain dans le circuit officiel international en tant que
musique actuelle à part entière et non comme une branche de la world music.
Avec son soutien la bénino-sénégalaise Moona
a pu se produire devant des professionnels de premier plan venus du monde
entier lors du Marché des Musiques Actuelles de Paris en 2014, et le congolais
Lexxus lui succèdera cette année.
Les
rappeurs qui par conviction ou calcul ont une offre artistique qui correspond à
la demande internationale et qui sont prêts à opérer les ajustements
nécessaires, vont à la conquête de ce marché.
Et
comme il n’y a pas encore eu de success story de rappeurs africains
francophones en matière de vente de disques en Occident, donc le créneau qui
s’offre à eux est celui des concerts et festivals. En ce domaine il ne dispose
que de niches : communautés africaines,
festivals ouverts aux musiques du monde, premières parties de têtes
d’affiches, et le petit circuit des lieux et évènements à caractère hip hop.
Les visas
s’accumulent dans leurs passeports mais les euros et dollars tant espérés ne
s’entassent sur leurs comptes en banque que si leur staff international est
compétent, dynamique et honnête.
le rap d’Afrique francophone vit donc un
paradoxe que le talentueux burkinabè Smarty incarne bien : très en vue sur
le plan international, il n’intéresse que moyennement les masses africaines.
Pendant ce temps les anglophones les plus
populaires sur le continent continuent leur percée internationale : Ice
Prince et Sarkodie ont joué cette année sur le South By Southwest un des plus
grands festivals américains.
Comment
faire pour que de nouveau, les rappeurs francophones qui cartonnent sur le
continent soient ceux qui s’exportent le mieux et vice versa?
Tout
d’abord il faut qu’ils comprennent définitivement que le rap africain doit
avoir son identité, ses couleurs. Chacun a la latitude de concocter sa sauce
selon ses goûts. L’essentiel est qu’au finish ça sonne rap et que ça sonne
africain. Le camerounais Jovi est un bel exemple de mariage réussi
entre rap et africanité.
Ensuite,
que les intéressés réalisent qu’avec l’effondrement des ventes de disques, la
scène est devenue encore plus importante aujourd’hui car elle procure aux
artistes la majeure partie de leurs revenus.
C’est
aussi manifester du respect à leur public africain qui mérite qu’ils lui
donnent le meilleur d’eux mêmes. Malgré les contraintes techniques et
financières, il y a toujours moyen de faire bien.
En
tout cas au niveau international, si tu ne vends pas du rêve, de l’évasion,
personne n’achètera ton spectacle.
Ce
n’est pas seulement à cause de ses millions d’albums vendus que Jay Z a
été en 2008 le premier rappeur à se
produire à Glastonbury en Angleterre qui
fait partie des festivals les plus côtés au monde, et qui était jusqu’alors un
bastion du rock.
Ce
n’est pas pour rien que Kendrick Lamar et Wiz Khalifa n’arrêtent pas de
tourner.
Ils
ont un show à couper le souffle, ils mouillent le maillot. Ils ne se contentent
pas d’envahir le podium avec leur clique et de jeter des t shirts griffés à
leur nom dans le public.
Enfin
il faut trouver une solution au manque dans l’espace francophone africain de
professionnels aguerris, et d’un réseau d’évènements, de lieux de diffusion
suffisamment denses pour faire tourner les rappeurs. Cela renforcerait
économiquement le rap de cette zone et permettrait aux artistes de s’investir
réellement dans la recherche de styles propres à l’Afrique francophone et
vendables au reste du monde, en commençant par l’Afrique anglophone et
lusophone qui est un grand marché sur lequel ils ne parviennent pas encore à
s’imposer.
Ils
pourraient ainsi échapper à la pression d’un certain show biz international qui
voudrait modeler le rap africain selon sa vision.
C’est
dans ce souci d’émancipation que le groupe guinéen Degg J Force 3 organise
annuellement à travers son label de production, une tournée européenne
d’artistes guinéens de musique urbaine. Ledit label dispose même d’une licence
de promoteur au Canada. Il a ainsi pu y organiser avec succès en 2013, trois
concerts de son groupe phare BanlieuzArt.
Cette
belle et audacieuse initiative devrait interpeler les acteurs majeurs du hip
hop en Afrique francophone.
Imaginez
l’impact d’une telle opération si elle est menée de façon conjointe !
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