mercredi 23 septembre 2015

Mix My Wax Décode le Rap Africain



 Régner chez soi ou tourner à l’étranger : le choix forcé du Rappeur d‘Afrique francophone 


Commençons par des définitions : le chez soi dont il est question est l’espace francophone africain.
L’étranger représente le reste du monde, l’Occident principalement.

Le sujet de la chronique peut sembler absurde puisqu’en principe lorsqu’un artiste atteint le sommet sur son territoire, naturellement des opportunités d’accéder au marché international s’offrent à lui, et il est le mieux placé pour prétendre à une belle carrière internationale. Mais les choses ne sont plus aussi évidentes dans les musiques africaines, encore moins dans le rap d’Afrique francophone.


Pendant l’Age d’or du rap d’Afrique francophone, la question ne se posait pas : les PBS, Daara J remplissaient les stades, faisaient chavirer les cœurs des groupies, signaient des partenariats avec de gros sponsors, bénéficiaient du soutien des institutions.
Leaders indiscutables sur le continent, affiliés à des majors ; ils embarquaient pour des   tournées interminables dans le reste du monde sur des festivals et des scènes ouvertes aux musiques du monde
Sans doute avaient ils trouvé le juste équilibre artistique pour jouer et rafler la mise sur les deux tableaux.


Et puis le vent a tourné, les majors n’ont plus su quoi faire avec le rap d’Afrique francophone et parallèlement les rappeurs des générations suivantes ont semble t’il perdu la formule musicale qui permettaient aux glorieux aînés de faire la jonction entre les deux marchés.
Il faut dire que la crise a provoqué un nivellement par le bas.
Voir Daara J ou Positive Black Soul en concert était une telle claque qu’elle forçait les autres artistes à redoubler d’efforts.
Aujourd’hui un rappeur peut devenir très populaire, être un boss en Afrique francophone et signer de juteux contrats d’endorsement ; en ayant des prestations scéniques très approximatives.  Le play back ne choque plus le grand public, alors pourquoi se compliquer la tache à vouloir faire du live ? D’autant plus que celui ci est difficile à mettre en œuvre : manque d’espaces de répétition, coût des répétitions,  cachets pas assez importants pour rémunérer des musiciens. 
Résultat : sans une conscience claire des bénéfices du live et la détermination à faire les sacrifices nécessaires ; il passe vite à la trappe.
En outre, il n’y a pas assez de prime accordée à la recherche musicale, à l’originalité. Les rappeurs qui sont dans ce créneau, jouissent du respect de leurs pairs mais peinent à toucher le grand public. A court terme surfer sur les tendances du moment en s’appuyant sur une bonne promo fait encore l’affaire.
Pourquoi se casser la tête ? Un gros beat trap nappé de vocoder et le tour est joué !

Or sur le marché international la réalité est toute autre.

Primo concert de rap rime avec live. Jay Z la superstar l’a compris depuis des années. En France presque tous, de Lino à Black M renforcent leurs shows avec des musiciens.

Secundo l’Occident recherche des rappeurs africains qui incorporent leurs cultures dans leur musique, qui ont une démarche originale.
Cela peut d’ailleurs tourner à la caricature car dans certains réseaux le rappeur africain est celui qui porte un boubou et qui a des instruments traditionnels dans son back line. Eh oui au 3ème millénaire des programmateurs, heureusement en voie de disparition, ont encore du mal à admettre que le jean et le musiques électroniques font partie intégrante des cultures africaines !
Cela décourage ceux qui craignent d’être obligé de se déguiser pour faire carrière.
Il faut saluer ici le travail que fait le programme Equation Musique pour positionner le rap africain dans le circuit officiel international en tant que musique actuelle à part entière et non comme une branche de la world music. Avec son soutien la bénino-sénégalaise  Moona a pu se produire devant des professionnels de premier plan venus du monde entier lors du Marché des Musiques Actuelles de Paris en 2014, et le congolais Lexxus lui succèdera cette année.



Les rappeurs qui par conviction ou calcul ont une offre artistique qui correspond à la demande internationale et qui sont prêts à opérer les ajustements nécessaires, vont à la conquête de ce marché.
Et comme il n’y a pas encore eu de success story de rappeurs africains francophones en matière de vente de disques en Occident, donc le créneau qui s’offre à eux est celui des concerts et festivals. En ce domaine il ne dispose que de niches : communautés africaines,  festivals ouverts aux musiques du monde, premières parties de têtes d’affiches, et le petit circuit des lieux et évènements à caractère hip hop.
Les visas s’accumulent dans leurs passeports mais les euros et dollars tant espérés ne s’entassent sur leurs comptes en banque que si leur staff international est compétent, dynamique et honnête.

 le rap d’Afrique francophone vit donc un paradoxe que le talentueux burkinabè Smarty incarne bien : très en vue sur le plan international, il n’intéresse que moyennement les masses africaines.



 Pendant ce temps les anglophones les plus populaires sur le continent continuent leur percée internationale : Ice Prince et Sarkodie ont joué cette année sur le South By Southwest un des plus grands festivals américains.

Comment faire pour que de nouveau, les rappeurs francophones qui cartonnent sur le continent soient ceux qui s’exportent le mieux  et vice versa?

Tout d’abord il faut qu’ils comprennent définitivement que le rap africain doit avoir son identité, ses couleurs. Chacun a la latitude de concocter sa sauce selon ses goûts. L’essentiel est qu’au finish ça sonne rap et que ça sonne africain. Le camerounais Jovi est un bel exemple de mariage réussi entre rap et africanité.


Ensuite, que les intéressés réalisent qu’avec l’effondrement des ventes de disques, la scène est devenue encore plus importante aujourd’hui car elle procure aux artistes la majeure partie de leurs revenus.
C’est aussi manifester du respect à leur public africain qui mérite qu’ils lui donnent le meilleur d’eux mêmes. Malgré les contraintes techniques et financières, il y a toujours moyen de faire bien.
En tout cas au niveau international, si tu ne vends pas du rêve, de l’évasion, personne n’achètera ton spectacle.
Ce n’est pas seulement à cause de ses millions d’albums vendus que Jay Z a été  en 2008 le premier rappeur à se produire  à Glastonbury en Angleterre qui fait partie des festivals les plus côtés au monde, et qui était jusqu’alors un bastion du rock.
Ce n’est pas pour rien que Kendrick Lamar et Wiz Khalifa n’arrêtent pas de tourner.
Ils ont un show à couper le souffle, ils mouillent le maillot. Ils ne se contentent pas d’envahir le podium avec leur clique et de jeter des t shirts griffés à leur nom dans le public.

Enfin il faut trouver une solution au manque dans l’espace francophone africain de professionnels aguerris, et d’un réseau d’évènements, de lieux de diffusion suffisamment denses pour faire tourner les rappeurs. Cela renforcerait économiquement le rap de cette zone et permettrait aux artistes de s’investir réellement dans la recherche de styles propres à l’Afrique francophone et vendables au reste du monde, en commençant par l’Afrique anglophone et lusophone qui est un grand marché sur lequel ils ne parviennent pas encore à s’imposer.
Ils pourraient ainsi échapper à la pression d’un certain show biz international qui voudrait modeler le rap africain selon sa vision.

C’est dans ce souci d’émancipation que le groupe guinéen Degg J Force 3 organise annuellement à travers son label de production, une tournée européenne d’artistes guinéens de musique urbaine. Ledit label dispose même d’une licence de promoteur au Canada. Il a ainsi pu y organiser avec succès en 2013, trois concerts de son groupe phare BanlieuzArt.


Cette belle et audacieuse initiative devrait interpeler les acteurs majeurs du hip hop en Afrique francophone.
Imaginez l’impact d’une telle opération si elle est menée de façon conjointe !









                                                                                                                  

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