mercredi 2 septembre 2015

A L'HEURE DES COLLABORATIONS INTERNATIONALES OU EN EST LE RAP BENINOIS?






A la fin des années 2000, le rap africain fragile économiquement, a perdu de son influence au profit de la vague afro urbaine mieux organisée et plus en phase avec les attentes du public.  Le Nigeria et son Afrobeats, l’Azonto du Ghana, le Kuduro de la zone lusophone sont devenus dominants.


Le  rap béninois comme la plupart des pays d’Afrique francophone a subi l’invasion sans être en mesure de riposter.

Beaucoup d’acteurs ont même renié le hip hop pour embrasser les nouveaux courants  en vogue.

Le retour au premier plan du rap africain est venu des mêmes pays qui ont propulsé l’afro urbain car l’industrie musicale y est  structurée : Nigeria, Afrique du Sud, Ghana…

Mais leurs choix artistiques sont diamétralement opposés : quand les rappeurs les plus en vue de Lagos et d’Accra que sont Ice Prince, Phyno et Sarkodie, optaient pour un rap plus afro centré leur homologue de Johannesburg AKA choisissait de coller au plus près au modèle américain. Ses décisions ont été payantes car ils occupent des positions fortes sur leurs territoires respectifs.



EN AFRIQUE FRANCOPHONE LA CRISE A ETE TELLE QU'ELLE A REBATTU LES CARTES AU NIVEAU DE LA HIÉRARCHIE DU RAP BASE SUR LE CRITÈRE DE L'IMPACT INTERNATIONAL.


Le Sénégal et le Gabon se sont effondrés tandis qu’ont émergé le Cameroun et la Côte d’Ivoire. 
La recette de leur ascension : des visuels travaillés, une vraie adaptation des codes rap au contexte local, une approche plus professionnelle. 

Mais leur avènement reste fragile car les projecteurs internationaux ne sont braqués que sur quelques acteurs. Sans vouloir faire injure aux autres, si on enlève Jovi,  Stanley Enow ; Kiff No Beat et Nash du tableau, le Cameroun et la Côte d’Ivoire disparaissent des radars. Je rappelle qu’il est question ici de médiatisation et non de talent. Donc contrairement aux autres régions qui ont un système qui peut produire indéfiniment des stars viables du hip hop, l’Afrique francophone n’en est pas encore capable.

Pour se renforcer mutuellement et élargir leur audience, ces stars collaborent déjà entre elles. On ne compte plus les featurings entre rappeurs nigerians ghanéens et sud africains. 

L’industrie musicale d’Afrique anglophone est gérée par des hommes très qualifiés qui ont étudié dans les écoles anglaises et américaines ou ont travaillé dans leur show biz. Ils ont donc le même background que leurs homologues anglo-saxons et maîtrisent leurs pratiques.  Rien d’étonnant donc que leur rap commence à se positionner au plan international. Cela est facilité par le fait qu’il est identifié grâce aux Mtv African Music Awards, aux BET Awards et aux Music Of Black Origin (MOBO) anglais. 

De plus dans l’autre sens, les majors veulent pénétrer ces marchés au poids démographique important et où émerge une classe moyenne qui peut consommer. Puisque leur filière musicale est structurée le partenariat peut être gagnant gagnant. 

On sait par exemple que Jay Z est fortement intéressé par le territoire et les rappeurs nigérians.

En conséquence les feat entre artistes rap d’Afrique anglophone et US s’amorcent : Ice Prince a collaboré avec French Montana, Sarkodie avec Ace Hood.


 


Parallèlement, les poids lourds du rap game d’Afrique anglophone ont commencé à coopter leurs collègues  les plus visibles de la zone francophone : ainsi Sarkodie a collaboré avec Stanley Enow. Comme par hasard ils sont tous le 2 ambassadeurs de Samsung.
Eh oui un feat c’est avant tout une question de convergence d’intérêts,  d’opportunité d’accéder à un nouveau territoire, de gros sous. Au plus haut niveau il s’agit rarement d’un coup de cœur désintéressé.

Une collaboration serait en préparation entre Kiff No Beat et  le sud africain Cassper Nyovest.

Stanley Enow de son côté vient de s’associer à Biz Ice l’homme fort du rap au Congo Brazzaville, sur un titre de son album ‘Soldier like ma papa’.

En ce qui concerne le rap béninois, des collaborations ont été réalisées par le passé. 
Ainsi Ardiess a fait des chansons avec Ol Kainri et Kamnouze à la période où ils avaient encore du poids dans le rap français. Mais il n’y a pas eu d’orchestration médiatique et du coup aucune capitalisation sur ces collaborations.

Blaaz et Koba le gabonais ont enregistré plusieurs titres communs au moment où le béninois flirtait avec le label Eben.

Mais le rap béninois  peine toujours à trouver sa place sous le soleil africain.

Le talents des acteurs n’est pas en question : depuis ses débuts, le pays a toujours produit de bons MCs. Et, avec la nouvelle génération il n’y a pas de souci à se faire. 


LES RAPPEURS SONT EN ORDRE DE BATAILLE, ONT FAIM DE VICTOIRES, MAIS C'EST LA STRATÉGIE DE CONQUÊTE QUI LAISSE A DÉSIRER.

Il n’y a pas de filière musicale, pas de modèle économique. Donc les rappeurs et les petits labels sont livrés à eux mêmes. Le Do It Yourself auquel doit se résoudre un nombre grandissant d’artistes en Occident, est la règle du jeu.  Résultat, ce sont les mieux organisés, les plus inventifs et les  plus déterminés qui tirent leur épingle du jeu.

En l’absence d’un modèle standard qui fait ses preuves comme au Nigeria (qui a la chance d’avoir un vaste marché intérieur), le problème de l’identité se pose au rap béninois et à la majorité des raps issus d’Afrique francophone. 




Trois exemples illustrent bien la situation complexe qui prévaut:
Blaaz, le plus en vue actuellement s’est positionné depuis le début comme la version béninoise du rap explicite qui cartonne aux States. Hier on pouvait le comparer à Lil Wayne, aujourd’hui à Young Thug. Cela ne l’empêche pas de faire des incursions dans la vibe afro.


Diamant Noir qui représentait le rap français issu des beaux quartiers a, par touches successives, africanisé sa démarche. Il essaie maintenant de préserver son ADN rap tout en prenant en compte la tendance afro pop.





Kemtaan qui oscille entre rap et chant a choisi d’effectuer une rupture totale, remplaçant les beats calibrés français et ricains par des rythmes traditionnels adaptés au hip hop, et plus de musicalité. 


 


Il faut ajouter à cela le fait que les rappeurs ont du mal à reconquérir le cœur des mélomanes urbains qui penche depuis plusieurs années pour l’Afrobeats et ses stars nigérianes. 
Il n’y a quasiment plus de rappeurs qui se risquent à un concert payant d’envergure.

Enfin la position dominante qu’occupe Trace TV dans la zone, est un facteur qui n’aide pas les acteurs fragilisés à construire sereinement leurs projets artistiques. Cette chaine est au rap d’Afrique francophone ce que Skyrock est au rap français. A l’ère du règne de la télévision câblée sur le continent, dur dur de toucher le grand public sans elle. Consciemment ou inconsciemment  les rappeurs modifient leur direction artistique pour correspondre à sa ligne éditoriale. Pour beaucoup de rappeurs béninois c’est même devenu une obsession, une fin en soi !

MTV Base Africa est un canal tout aussi important et des rappeurs béninois commencent à y être diffusés : D Flex, Nasty Nesta. Mais il est encore peu regardé en Afrique francophone qui est naturellement le premier marché des rappeurs francophones.

Dans la donne actuelle,  leur visibilité internationale passe par une grande rotation sur Trace Tv. 

Blaaz y est parvenu avec son dernier single. Il est également brand ambassador de MTN, géant de la téléphonie mobile en Afrique. 

S’il confirme avec ses prochaines réalisations, et est largement diffusé sur MTV Base Africa, il pourra prétendre à des collaborations africaines prestigieuses.

En conclusion, tous ceux qui sur le continent rêvent d’un destin international, de tutoyer les cadors du game africain doivent redoubler d’effort, de créativité et surtout de stratégie.

Le Do It Yourself est là pour durer !


           

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