jeudi 15 octobre 2015

INSTALLATION D'UNIVERSAL MUSIC EN AFRIQUE FRANCOPHONE : QUELLES CONSEQUENCES POUR LE RAP?




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Le n°1 mondial de l’industrie du disque prend ses quartiers en Afrique francophone. Il compte transformer en profondeur  la filière musicale de la région. Son installation est en effet un des aspects de la  politique globale  de mise en place d’un modèle économique rentable menée par Vivendi, le groupe qui possède Universal Music.

Ainsi avec Universal sont arrivés la chaîne de télé câblée A+, le concours de découverte de nouveaux talents Island Africa Talent, le projet d’ouverture de salles de spectacles baptisées Canal Olympia dans 10 pays d’Afrique francophone, la plate forme de streaming Kleek destinée à l’Afrique. Et il ne faut pas oublier le rachat par Vivendi de DailyMotion le concurrent de Youtube.  

La venue d’un acteur majeur sur un marché dit désorganisé et sans avenir prouve qu’au contraire il est arrivé à maturité et qu’il y a aujourd’hui suffisamment de consommateurs pour le rendre viable.

C’est une grande nouvelle pour tous les activistes de la musique: ça valide leur entêtement à vouloir créer un vrai show biz dans la région. Mais le gros risque est que ce mastodonte en position de force, les écrase et récolte les fruits de leurs longues années de dur labeur.

C’est aussi un pied de nez adressé au  secteur privé africain qui a minimisé le potentiel économique de la musique en Afrique francophone. Il est pris de vitesse.


Si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes on dirait que la présence d’Universal va  améliorer les perspectives de carrière des artistes : les musiciens n’ont plus à s’épuiser à chercher à séduire une major lointaine, la major est venue à eux !

Les rappeurs d’Afrique francophone doivent ils donc sauter de joie ?
Les choses ne sont pas aussi simples.

Le rap n’étant pas actuellement la musique la plus consommée dans la région, ses acteurs ne seront sans doute pas la priorité absolue de la maison de disque.

Le rap n’était d’ailleurs pas pris en compte dans la première édition du Island Africa Talent.
Or comme sous les autres cieux, les majors n’investissent plus dans le développement  de carrières d’artistes totalement inconnus. C’est devenu trop coûteux et le résultat est aléatoire.  Ils recourent aux télés crochets qui  leur permettent de gagner du temps et d’économiser de l’argent. Ces concours leur offrent le double avantage d’attirer des artistes  doués et de construire en un temps record un gros buzz autour des gagnants et des chouchous du public grâce à la surexposition médiatique qui les caractérise.
Dans la donne qui émerge donc, les signatures en major seront les chanteurs révélés par les différentes éditions de Island Africa Talent et les artistes qui se seront déjà fait un nom.
DJ Arafat (via le label de Maitre Gims) et Fally Ipupa ont déjà rejoint les rangs d’Universal.
On peut raisonnablement penser que le groupe togolais Too Fan est dans son viseur.

Universal va être en situation de monopole, et les rappeurs peuvent craindre à juste titre d’être marginalisés.
Cependant le rap a une force : il est plus qu’une musique. C’est  une culture, un mode de vie. Et de ce point de vue il est très influent en Afrique francophone.   
Cela n’a d’ailleurs pas échappé à Vivendi qui pour la pose de la première pierre du Canal Olympia de Conakry a organisé un concert dont Kiff No Beat partageait la tête d’affiche avec Wizkid.
Faut il y voir le signe d’une prochaine affiliation du groupe ivoirien à Universal ? Le futur nous le dira.


Malgré les risques, l’arrivée du géant de l’industrie musicale constitue une belle opportunité pour les rappeurs et leurs labels indépendants.
Ils ne seront pas les premiers à être signés en artistes ? Excellente nouvelle !
En effet si le contrat d’artiste donne droit à des royalties et met tous les frais de production et de promotion à la charge de la maison de disque, il n’est pas très rémunérateur et confisque la liberté artistique.
C’est dans l’intérêt de nos rappeurs de construire leur propre buzz, et d’élargir leur fan base. A l’ère d’internet et de la démocratisation des technologies musicales, un artiste indépendant est viable; et c’est un atout d’avoir le contrôle artistique et financier. Le chemin est plus ardu mais le résultat beaucoup plus lucratif car la marge qui revient dans les poches est plus grande. Il n’y a qu’à voir la carrière solide et fructueuse qu’ont bâti par eux mêmes les jeunes rappeurs américains Tyler the Creator et Chance The Rapper pour s’en convaincre.


En outre, une major est à la recherche de toutes les opportunités pour gagner de l’argent. L’ascension de rappeurs d’Afrique francophone ne manquera pas de lui taper dans l’œil. Ceux ci pourront négocier alors dans de bonnes conditions des contrats de licence et/ou de distribution en s’appuyant sur leurs labels.
Le rap américain a systématisé ce modèle, et ses acteurs les plus influents et les plus riches sont ceux qui l’ont appliqué. Ainsi c’est à travers son label Roc A Fella que Jay Z a signé à ses débuts avec Priority Records puis Def Jam.
En France Booba et le Wati B ont fait de même. 
Le ghanéen D Black a signé un deal de distribution avec la branche sud africaine d’Universal. Quand au nigérian Ice Prince c’est un partenariat entre son label Chocolate City et  Universal qui assure la distribution de ses titres au Royaume Uni.


La balle est donc dans le camp des rappeurs d’Afrique francophone. Comme aime à le dire Awadi, il ne faut pas qu’ils dorment en classe ! Ils devront travailler mieux et plus.

Le projet de construction des salles Canal Olympia est aussi une bonne nouvelle.  Ces 10  salles dans 10 pays détenus par un seul groupe vont rationnaliser la diffusion du spectacle vivant dans la région. Des espaces construits et équipés selon les normes internationales, et ayant une capacité de 3000 places sont une aubaine pour toutes les musiques urbaines du continent. Même s’ils serviront d’abord les intérêts d’Universal,  il y aura désormais moyen pour les autres structures opérant sur le continent d’organiser des tournées  rentables de rappeurs africains via ce réseau de salles. Cela va dynamiser la filière hip hop.

Avec de l’intelligence et du savoir faire, les rappeurs africains pourront tirer beaucoup de profit de la nouvelle ère qui s’annonce.





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