Le n°1 mondial de l’industrie du disque prend ses
quartiers en Afrique francophone. Il compte transformer en profondeur la filière musicale de la région. Son
installation est en effet un des aspects de la politique globale de mise en place d’un modèle économique
rentable menée par Vivendi, le groupe qui possède Universal Music.
Ainsi avec Universal sont arrivés la chaîne de télé câblée
A+, le concours de découverte de nouveaux talents Island Africa Talent, le
projet d’ouverture de salles de spectacles baptisées Canal Olympia dans 10 pays
d’Afrique francophone, la plate forme de streaming Kleek destinée à l’Afrique.
Et il ne faut pas oublier le rachat par Vivendi de DailyMotion le concurrent de
Youtube.
La venue d’un acteur majeur sur un marché dit
désorganisé et sans avenir prouve qu’au contraire il est arrivé à maturité et
qu’il y a aujourd’hui suffisamment de consommateurs pour le rendre viable.
C’est une grande nouvelle pour tous les
activistes de la musique: ça valide leur entêtement à vouloir créer un
vrai show biz dans la région. Mais le gros risque est que ce mastodonte en
position de force, les écrase et récolte les fruits de leurs longues années de
dur labeur.
C’est aussi un pied de nez adressé au secteur privé africain qui a minimisé le
potentiel économique de la musique en Afrique francophone. Il est pris de
vitesse.
Si tout allait pour le mieux dans le meilleur des
mondes on dirait que la présence d’Universal va
améliorer les perspectives de carrière des artistes : les musiciens
n’ont plus à s’épuiser à chercher à séduire une major lointaine, la major est
venue à eux !
Les rappeurs d’Afrique francophone doivent ils donc
sauter de joie ?
Les choses ne sont pas aussi simples.
Le rap n’étant pas actuellement la musique la plus
consommée dans la région, ses acteurs ne seront sans doute pas la priorité absolue
de la maison de disque.
Le rap n’était d’ailleurs pas pris en compte dans la
première édition du Island Africa Talent.
Or comme sous les autres cieux, les majors n’investissent
plus dans le développement de carrières
d’artistes totalement inconnus. C’est devenu trop coûteux et le résultat est
aléatoire. Ils recourent aux télés crochets
qui leur permettent de gagner du temps
et d’économiser de l’argent. Ces concours leur offrent le double avantage
d’attirer des artistes doués et de construire
en un temps record un gros buzz autour des gagnants et des chouchous du public grâce
à la surexposition médiatique qui les caractérise.
Dans la donne qui émerge donc, les signatures en major
seront les chanteurs révélés par les différentes éditions de Island Africa
Talent et les artistes qui se seront déjà fait un nom.
DJ Arafat (via le label de Maitre Gims) et Fally Ipupa
ont déjà rejoint les rangs d’Universal.
On peut raisonnablement penser que le groupe togolais
Too Fan est dans son viseur.
Universal va être en situation de monopole, et les
rappeurs peuvent craindre à juste titre d’être marginalisés.
Cependant le rap a une force : il est plus qu’une
musique. C’est une culture, un mode de
vie. Et de ce point de vue il est très influent en Afrique francophone.
Cela n’a d’ailleurs pas échappé à Vivendi qui pour la
pose de la première pierre du Canal Olympia de Conakry a organisé un concert
dont Kiff No Beat partageait la tête d’affiche avec Wizkid.
Faut il y voir le signe d’une prochaine affiliation du
groupe ivoirien à Universal ? Le futur nous le dira.
Malgré les risques, l’arrivée du géant de l’industrie
musicale constitue une belle
opportunité pour les rappeurs et leurs labels indépendants.
Ils ne seront pas les premiers à être signés en
artistes ? Excellente nouvelle !
En effet si le contrat d’artiste donne droit à des
royalties et met tous les frais de production et de promotion à la charge de la
maison de disque, il n’est pas très rémunérateur et confisque la liberté
artistique.
C’est dans l’intérêt de nos rappeurs de construire
leur propre buzz, et d’élargir leur fan base. A l’ère d’internet et de la
démocratisation des technologies musicales, un artiste indépendant est viable;
et c’est un atout d’avoir le contrôle artistique et financier. Le chemin est
plus ardu mais le résultat beaucoup plus lucratif car la marge qui revient dans
les poches est plus grande. Il n’y a qu’à voir la carrière solide et fructueuse
qu’ont bâti par eux mêmes les jeunes rappeurs américains Tyler the Creator et
Chance The Rapper pour s’en convaincre.
En outre, une major est à la recherche de toutes les
opportunités pour gagner de l’argent. L’ascension de rappeurs d’Afrique
francophone ne manquera pas de lui taper dans l’œil. Ceux ci pourront négocier
alors dans de bonnes conditions des contrats de licence et/ou de distribution
en s’appuyant sur leurs labels.
Le rap américain a systématisé ce modèle, et ses
acteurs les plus influents et les plus riches sont ceux qui l’ont appliqué. Ainsi
c’est à travers son label Roc A Fella que Jay Z a signé à ses débuts avec Priority
Records puis Def Jam.
En France Booba et le Wati B ont fait de même.
Le ghanéen D Black a signé un deal de distribution
avec la branche sud africaine d’Universal. Quand au nigérian Ice Prince c’est
un partenariat entre son label Chocolate City et Universal qui assure la distribution de ses
titres au Royaume Uni.
La balle est donc dans le camp des rappeurs d’Afrique francophone.
Comme aime à le dire Awadi, il ne faut pas qu’ils dorment en classe ! Ils
devront travailler mieux et plus.
Le projet de construction des salles Canal Olympia est
aussi une bonne nouvelle. Ces 10 salles dans 10 pays détenus par un seul
groupe vont rationnaliser la diffusion du spectacle vivant dans la région. Des
espaces construits et équipés selon les normes internationales, et ayant une capacité
de 3000 places sont une aubaine pour toutes les musiques urbaines du continent.
Même s’ils serviront d’abord les intérêts d’Universal, il y aura désormais moyen pour les autres
structures opérant sur le continent d’organiser des tournées rentables de rappeurs africains via ce réseau
de salles. Cela va dynamiser la filière hip hop.
Avec de l’intelligence et du savoir faire, les rappeurs
africains pourront tirer beaucoup de profit de la nouvelle ère qui s’annonce.
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